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Le Boucher

Borne 7

En 1947, Guy Boisgerault a 14 ans et quitte l’école primaire pour rentrer en apprentissage chez son père, boucher, juste en face de l’école privée. René et Louis, ses deux frères, préparent la même profession.
À l’époque, chaque boucher possède son abattoir : celui de M. Boisgerault est situé à proximité du magasin.
Après deux années d’apprentissage, Guy est engagé au Grand Saloir Saint-Nicolas, à Montfort, qui ne compte à ce moment-là que 4 ouvriers. Il se met à son compte à la Brohinière en 1957, à Saint-Méen en 1964.
Il aime beaucoup son métier, mais redoute un peu le travail de l’abattoir. Comme on le comprend ! Tuer des animaux aussi paisibles que la vache, le bœuf ou le veau n’a rien de réjouissant... ni de facile.
Les fermiers amènent les animaux à la boucherie à pied, plus tard, le boucher ira les prendre avec sa bétaillère. Dès son arrivée à l’abattoir, la bête est solidement attachée à un anneau fixé au mur. Le « percot », sorte de massue dans une moitié à la forme d’un énorme clou conique, sert à exécuter le forfait.
« Je me souviens avoir raté une vache, elle était devenue folle et très dangereuse.
Je n’ai jamais compris comment je me suis retrouvé accroché en haut du mur. La peur m’avait donné une agilité extraordinaire ! ». Cet incident se produit très rarement.
Quand la bête est morte, il reste à la saigner à la dépouiller de sa peau, entièrement et proprement, à la vider de ses viscères.
« On chauffait de l’eau et on ébouillantait les gras doubles (bonnet, caillette) pour en faire des tripes. C’est délicieux, les tripes. Pourtant, un jour, ma fille me demanda d’où elles provenaient, quand elle le sud, elle ne voulut plus jamais en manger ! ».
On tue une dizaine de vaches par semaine, certaines ont une chair de moins bonne qualité. Leur viande est expédiée sur Redon où elle est mise en conserve pour l’armée. Ce sont les fameuses boîtes de singe qui ont fait grimacer tant de soldats. Les veaux tués le mardi et les morceaux restants de ceux qui étaient tués le jeudi sont expédiés vers les halles centrales de Paris par la société de transport et d’entrepôt frigorifique « la (STEF) qui les charge dans des containers aménagés pour le trafic rail-route. les veaux et les cochons vivants sont collectés dans les boucheries par l’entreprise DOLAIS de Boisgervilly qui les conduit à la gare de Montauban, où ils prennent également la direction de la Villette
On ne connaît pas encore les chambres froides, on tue le bœuf le jeudi, on le laisse refroidir le vendredi et la viande peut alors être découpée pour être vendue durant tout le week-end.
« Du temps de mon père, quand un client venait acheter du veau, il lui servait le morceau prêt à découper. C’est bien simple, mon père tranchait régulièrement et toujours de la tête à la queue. Selon que vous arriviez tôt ou tard, vous étiez servi l’avant ou l’arrière de l’animal. C’était du veau, un point c’est tout ! Plus tard, on a dissocié les différents morceaux. ».
Quand aux peaux de veau ou de vache, elles sont lavées, salées, puis expédiées à Saint-Malo de Beignon, pour être utilisées en maroquinerie.
Les animaux sont tués à l’abattoir, mais les bêtes accidentées peuvent être achevées sur place, dans le pré ou dans la grange de la ferme, lorsqu’il y a urgence et qu’il est impossible de faire autrement. Les abattoirs « familiaux » fermeront en 1968, les bouchers devront alors s’approvisionner auprès des abattoirs industriels, pour faciliter les contrôles sanitaires.
Un animal continue cependant à être tué à la ferme : c’est le cochon. Ah ! La mort du cochon, c’est un événement, les écoliers du Forez ne s’absentaient-ils pas de l’école ce jour-là, prétextant un deuil dans la « famille » ? On se réserve un port bien gras auquel on a prêté beaucoup d’attention.
Le boucher, le seigneur, se présente tôt le matin à la ferme, armé de son redoutable couteau, et du fusil (aiguisoir). La bête est allongée sur un banc peu élevé, la gorge tendue vers le bas afin que la première saignée soit la bonne et que le sang puisse être entièrement recueilli dans les des bassines. Le corps est ensuite ébouillanté afin d’être rasé : les poils (la soie) serviront à fabriquer des brosses à dents. La couenne des vieux verrats se retrouve parfois transformée en sac ou porte-monnaie pour belle dame ! Après une heure de travail, l’opération est terminée, le port a été vidé, suspendu à un crochet. On revient le lendemain le découper en morceaux.
« Dans le cochon, tout est bon »
Les morceaux de lard sont placés dans le charnier en terre cuite d’une irréprochable propreté. Le tout doit être salé juste à point et conservé dans un lieu frais. Mettre le lard au charnier est une opération délicate : il faut éviter toute négligence qui pourrait rendre la viande impropre à la consommation.
Fabriquer une bonne charcuterie relève aussi d’un grand savoir-faire : il faut connaître et savoir trier les morceaux destinés à la saucisse, au saucisson, au pâté (la tête et la gorge), aux rillettes (les gras mous et les viandes molles), à l’andouille (le flanchet), au pâté de foie (le foie mélangé a du gras)…
« Mon père possédait cinq hachoirs à viande qui circulaient d’une ferme à une autre, selon les besoins. »
Le boudin est fait d’un mélange de sang de porc, et de gras, auquel on ajoute oignons, herbes fines et épices. On l’enveloppe dans les sept mètres du gros intestin, les onze mètres de l’intestin grêle servent de peau à la saucisse. Une sympathique coutume veut que voisins et amis se voient remettre la fricasse. »
Retraité, M. Boisgerault ne voudrait pas manquer les coups de main qu’il vient donner à son fils.
« Ce métier, je l’ai choisi par passion. J’aime particulièrement faire la charcuterie. C’est mon passe-temps préféré. »
Article extrait du Livret « Treffendel Au Passé Simple » (Mars 1996)