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Marie Berthelot

Borne 2

"Maman tenait une épicerie au bourg. Le réveil sonnait entre 5 et 6h, et une grande journée commençait. Le nombre d’heures passées à ranger, nettoyer, étiqueter les marchandises ne se comptait pas.

On trouvait de tout à l’épicerie : mercerie, bonneterie, tissu, alimentation. Le commerce restait ouvert 7 jours sur 7 et toute l’année, nous ignorions les mots tel que congés et vacances. Tout était livré en vrac, le café, en sac de 50 kg, était torréfié à la maison, et ce jour-là le réveil sonnait à 4h du matin.

Le sel, les confitures, la moutarde, les gâteaux, les bonbons, tout était pesé sur la balance à plateaux et petit poids en cuivre que nous astiquions régulièrement.

Les clients n’achetaient que de petites quantités et fournissaient les emballages. L’argent manquait souvent et il n’était pas rare que les fermiers troquent leurs achats contre des œufs ou du beurre.
Maman a été veuve jeune, en 1922. Ma petite sœur avait 6 semaines, j’avais 6 ans et ma sœur aînée avait 7 ans et demi. Les allocations familiales n’existaient pas, et il a fallu rapidement aider ma mère. L’agence postale nous a été attribué en 1928, et c’est ma sœur Lucienne qui s’en est occupé lorsque maman est tombée malade.

Le facteur allait chercher le courrier à la gare de Treffendel, dans des sacs cachetés à la cire, et faisait sa tournée à vélo par tous les temps, froid, pluie, neige ou bien canicule, comme celle de l’été 40. Pendant la guerre, il avait installé une remorque derrière son vélo, afin de transporter les colis de nourriture destinés aux prisonniers de guerre.

Maman faisait aussi de la couture et surtout des coiffes. Pour les deuils, les coiffes étaient en gaze, ensuite elle furent composées de tulle, puis de tulle brodé pour les dimanches et les jours de fête. C’était un travail long et minutieux, loin d’être payé à sa juste valeur, mais l’époque était une période d’entraide. C’est en aidant maman dans ses travaux de couture que j’ai appris le métier. Je l’ai pratiqué jusqu’en 1962, date à laquelle j’ai repris l’épicerie à mon compte. C’est à cette période que l’on a commencé à constater une nette amélioration des conditions de vie et de travail.

Entre ma naissance, en 1916, et 1939 c’est toute ma jeunesse. Rien ne ressemblait à la vie de maintenant, le confort était inexistant. L’électricité installée dans le bourg en 1929 éclairait en fait très peu de familles. Nous rêvions tous d’une vie plus confortable sans pouvoir imaginer ce qu’elle serait 20, 30 ou 60 ans plus tard !

Après la guerre de 1940, le confort a permis l’amélioration de la vie des gens. Les réfrigérateurs conservaient la fraîcheur des aliments, les produits emballés par les fabricants se gardaient plus longtemps et les clients les achetaient en plus grande quantité, sachant qu’il pouvait les conserver sans risque.

Et, comme le progrès ne s’arrête jamais, ce sont les congélateurs qui sont entrés dans beaucoup de foyers, ainsi que les produits de longue conservation.

L’envers de la médaille pour les petits commerçants comme moi, c’est l’arrivée des grandes surfaces dans les villes, avec des produits de plus en plus diversifiés, l’attrait des néons, de la musique douce, des prix concurrentiels. Chaque foyer qui possédait une voiture partait faire ses courses en ville, et nos petits commerces de village ont de nouveau eu beaucoup de mal à survivre."

Extrait du Livret « Treffendel au fil des ans » Témoignage de Mme Berthelot

Treffendel au fil des ans
Livret de collectage de mémoires sur Treffendel réalisé en 1999 sous l’égide du Club de l’Age d’Or